Les Ukrainiens de Belgique, écartelés entre la nostalgie et la volonté d’aller de l’avant

Dès que la guerre a éclaté en Ukraine, des milliers d’Ukrainiens ont pris la fuite. Essentiellement des femmes et des enfants, puisque les hommes en âge de se battre étaient obligés de rester sur place. Au total, on estime que huit millions d’Ukrainiens ont fui. Une grande partie d’entre eux s’est réfugiée en Pologne, le pays voisin.

Mais d’autres ont choisi d’autres pays d’Europe. La Belgique en escomptait 2000.000. Au final, ce sont près de 65.000 Ukrainiens qui sont ainsi arrivés chez nous. Un énorme élan de solidarité les attendait.

Ces Ukrainiens ont d’emblée bénéficié d’une attestation de protection temporaire, accordée par l’Office des étrangers. Ils ont droit à l’aide sociale du CPAS. Un cinquième de ces réfugiés sont installés en Wallonie. La même proportion à Bruxelles (20%). La Flandre accueille le reste soit environ 60% de ces réfugiés. Cette clé de répartition est le fruit d’un accord politique.

Mais le flux ne se tarit pas. L’armée ukrainienne résiste, mais les Russes grignotent du terrain. Et surtout, les bombes et les missiles s’abattent jour et nuit sur les zones civiles. Chaque semaine, entre 400 et 450 nouveaux réfugiés arrivent encore en Belgique. Les nouveaux arrivants sont hébergés dans un premier temps dans un bâtiment de FEDASIL.

S’ils arrivent de nuit, ils sont hébergés par la Région bruxelloise dans un abri de nuit. Ensuite, ils sont envoyés en Wallonie et en Flandre selon la clé de répartition définie au niveau politique.

A leur arrivée, et aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui sont hébergés par des familles belges. A Bruxelles, les nouveaux arrivants sont hébergés dans des bâtiments disponibles. D’anciens bureaux, hôtels, maisons de repos désaffectés, qui sont mis à disposition par des promoteurs, adaptés et meublés. Des logements modulaires (containers) ont été installés, deux à Watermael-Boitsfort et un troisième à Molenbeek. Ces logements seront ensuite affectés au logement social.

La langue, une barrière étanche pour trouver de l’emploi

A la fin de l’année dernière, 4.376 Ukrainiens étaient inscrits chez Actiris, ce qui correspond a 56% des Ukrainiens-nes en âge de travailler. Depuis leur arrivée, 1.018 personnes ont trouvé un emploi et 866 ont pu être formées.

Par contre, les enfants fréquentent massivement l’école. Ces enfants, qui ont très vite appris l’un des deux langues nationales, sont un vecteur d’intégration pour leurs mères.

En novembre 2023, 1641 enfants étaient inscrits dans l’enseignement primaire francophone, et 94 enfants dans la partie néerlandophone. Dans le secondaire, 674 jeunes ukrainiens fréquentent l’enseignement francophone, et 74 le néerlandophone. 18 enfants suivent l’école à la maison.

© Ukrainian Voices – Refugee Committee

Une ruche solidaire

Un centre communautaire a ouvert ses portes au cœur de Bruxelles, rue de la Loi. Chaque jour, des dizaines d’activités sont organisées sur place : soutien administratif, accompagnement dans le domaine de l’enseignement, de la recherche d’emploi, des cours de langue, des activités pour les enfants, des activités culturelles et sportives, et du soutien psychologique.

L’âme de cette ruche, c’est Alina Kokhanko. Cette jeune maman dans la trentaine a fui l’Ukraine avec sa fille, direction Bruxelles comme on se jette à l’eau. Comme de nombreux Ukrainiens, elle est d’abord accueillie par une famille belge pendant plusieurs mois. La dynamique jeune femme s’est tout de suite engagée pour accueillir les réfugiés gare du Midi.

Le UNHCR, Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU la remarque, et lui demande d’être la voix et le visage de tous ces réfugiés. Alina fonce. Elle frappe à toutes les portes, rencontre des ministres, organise des réseaux, réunit les réfugiés. La Région bruxelloise met à leur disposition un bâtiment rue de la Loi, dans le quartier européen. L’ancien siège d’un honorable parti flamand. Exit les ombres de politiciens poussiéreux, place aux femmes et aux enfants !

Alina Kokhanko, directrice du centre communautaire « Ukrainian Voices » à Bruxelles.
Alina Kokhanko, directrice du centre communautaire « Ukrainian Voices » à Bruxelles. © Alina Kokhanko

Le pire sentiment, c’est la culpabilité.

En journée, l’immeuble est relativement silencieux. Une déléguée de la Croix rouge enseigne a quelques femmes les premiers gestes de secours. Les salles de classe sommeillent, les peluches et les livres d’enfants attendent qu’on les empoigne. Mais dès 16h, c’est la déferlante. Les mamans sont allées chercher leurs enfants à l’école, et la ruche se réveille. Cours de peinture, de modelage, salle de jeux, classes d’anglais et de français… Tout le monde s’active. 200 volontaires se relaient pour assurer tous ces cours. Des Belges, des Ukrainiens bien sûr, mais aussi des Burundais, des Afghans, des Syriens… Une véritable tour de Babel.

Des juristes et des assistants sociaux conseillent pour les démarches administratives, comme trouver un logement, signer un bail, s’inscrire à une mutuelle, trouver un travail… Le centre est en contact avec les CPAS et les communes. L’information circule rapidement. Pas besoin de faire la file ou de se déplacer aux quatre coins de la Belgique. Les abeilles s’activent dans un ballet solidaire et dans une forme d’intelligence collective.

© Ukrainian Voices – Refugee Committee

Une salle est réservée aux femmes. Elles s’y retrouvent, se confient, pleurent parfois. Des psychologues ukrainiennes recueillent leurs tourments. “Bien sûr, il y a l’anxiété d’avoir laissé les maris, les vieux parents en Ukraine“, explique Alina. “Surtout quand les hommes sont au front“.

D’autres ont tout perdu, leur maison est détruite, ou en zone occupée par les Russes. Mais le plus dur, c’est la honte et la culpabilité. La honte d’avoir fui, d’avoir abandonné son pays et sa famille. C’est très dur. Alors on leur rappelle qu’elles sont parties pour sauver leurs enfants, leur épargner le traumatisme de la guerre. Et cette idée les réconforte.

Mais certains couples ne résistent pas à cette épreuve de l’exil. Ce samedi 24 février, les Ukrainiens de Belgique se rassembleront au “community center”. Pour être ensemble lors de ce triste anniversaire. Deux ans de guerre. Deux ans d’exil. Des musiciens, des chanteurs, des poètes célébreront le cher pays d’origine. Un pays qui s’éloigne, tout en restant chevillé au cœur de chacun.

© Ukrainian Voices – Refugee Committee

L’exemple ukrainien : un laboratoire pour l’accueil de tous les réfugiés.

Dès le démarrage du projet de “community center”, le HCR épaule Alina et ses amis. Alphonse Munyaneza est émerveillé par le dynamisme de ces Ukrainiens. “Le business de ce centre, c’est de s’intégrer dans le tissu urbain bruxellois.”

Grâce à la présence des bénévoles belges qui fréquentent le centre, l’apprentissage de la langue s’accélère. Les réfugiés se font des amis, tissent un petit réseau rassurant. La communauté est organisée en “groupes de travail”, dédiés à certains objectifs ; Les principaux sont le logement, et l’emploi. On échange les expériences et les tuyaux, les partenaires belges expliquent les chemins et les sentiers pour s’intégrer dans le tissu social belge, grâce à la connaissance de ses “codes”.

L’expérience est inspirante, et va servir de modèle pour l’accueil des réfugiés en général. “Pour la Région bruxelloise et le HCR, il y a quelque chose d’universel dans cette expérience“, explique Alphonse Munyaneza. “On a commencé avec les Ukrainiens, mais l’idée avec ce modèle bruxellois, c’est de l’universaliser. C’est pour cela qu’Alina s’est entourée de toutes ces nationalités, des demandeurs d’asile d’autres pays. On pense déjà à l’après. Ce modèle bruxellois va devenir une référence, de “comment” on gère les demandeurs d’asile, et comment on évite le sans-abrisme. Tout cela en s’alliant à la population belge, qui est très demandeuse d’accueillir des personnes candidates à l’asile.

Mais il n’est pas question de faire tout reposer sur les épaules de ces familles belges. Il faut que tout soit organisé en bonne intelligence avec l’administration et les CPAS.

Les Belges ont envie d’ouvrir leurs portes“, poursuit Alphonse. “Pour les Ukrainiens, il y avait un signal clair que c’était légal de le faire. Alors que pour les autres nationalités, c’était moins clair. Il faut que le gouvernement donne un signal non équivoque indiquant aux Belges qu’il est tout à fait possible d’ouvrir sa porte sans prendre de risque. Mais la population ne peut pas se substituer au gouvernement, qui doit remplir ses devoirs auprès des demandeurs d’asile. On ne peut pas sous-traiter l’accueil des réfugiés aux citoyens quand même !”

Le fonctionnaire onusien semble émerveillé par le fonctionnement de la ruche ukrainienne. Une ruche que des missions viennent visiter des 4 coins d’Europe, afin de s’en inspirer.

Les pionniers en la matière, cela a été les inventeurs de la plate-forme citoyenne en 2015 lors de la grande vague de réfugiés en provenance de Syrie“, rappelle Alphone Munyaneza. “Mehdi Kassou et ses amis ont ouvert la voie à un modèle révolutionnaire, qui a permis l’expérience ukrainienne.”

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